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09 janvier 2016 : c’est un grand jour pour Minou Razowsky ! A 14h00, je vais me faire tatouer en Thaïlande, mais pas que : je vais tester pour la première fois de ma vie la technique du tatouage au bambou.

Qu’est ce que la technique du tatouage au bambou ?

La technique du bambou est une technique traditionnelle. Le tatouage est entièrement réalisé à la main à l’aide d’aiguilles très fines. Cette méthode ne requiert l’aide d’aucune machine, donc pas de bruit « bbbbbzzzzzzrrrrrhhhh » dans les oreilles pendant des heures !
Cette technique viendrait du Japon. L’outil utilisé est une tige de bambou, au bout de laquelle sont insérées des aiguilles. Le nombre d’aiguilles dépendent des effets voulus pour votre tatouage (pour un gros tatouage rempli et « colorié », attendez-vous à un bon nombre d’aiguilles bien furax. Pour un tatouage tout fin, un nombre d’aiguilles raisonnable suffira). Le tatoueur peut utiliser de 5 à 36 aiguilles. L’encre utilisée est la même depuis plus de 300 ans : soit de l’encre de charbon, avec ou sans pigments de couleur.

Aujourd’hui, la tige de bambou est généralement remplacée par une tige en métal plus fine, facilitant la prise en main. Cette méthode n’est que très peu utilisées par les tatoueurs (en particulier en Europe) car elle demande une dextérité sans limite et un nombre incroyable de connaissances particulières.

Cette pratique est réputée très douloureuse. 80% des tatouages entrepris par cette technique seraient restés inachevés du fait de la douleur qu’elle implique.

Ci dessous Maître Horiyoshi III, maître de l’irezumi. Cet artiste a modernisé l’art du tatouage au bambou en incluant le dermographe électrique pour le tracé des grandes lignes et des ombrages.

maitre

  • L’irezumi est une forme de tatouage traditionnel du Japon. Un tatouage peut recouvrir plusieurs parties du corps, parfois même l’intégralité du corps.
  • dermogaphe, machine électrique utilisée pour les tatouages. Les aiguilles sont attachées à une barre à l’aide d’un canon électrique. Lorsqu’il est enclenché, les aiguilles se déplacent rapidement de haut en bas. Cela permet l’insertion de l’encre sous la couche la plus haute de l’épiderme.
    Grâce à un ami tatoueur en devenir, j’ai pu tester cette merveille. C’est très très très difficile à dompter ! J’ai tatoué du mieux que je pouvais mon pauvre cobaye. J’éprouve une très grande admiration pour tous les bons tattoo artists du monde.

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Mon expérience

Curieuse de cette technique traditionnelle qu’est le tatouage au bambou et amoureuse des modifications corporelles, je me mets à la recherche du salon de tatouage de mes rêves.

Nous avons visité plusieurs boutiques de tatouage, mais aucune ne m’a cogné le coeur. C’est à deux doigts d’abandonner que je vois la boutique de mes rêves. « Sylvain ! Arrête-toi ! C’est le bon, je l’ai trouvé ! C’est là que je vais me faire tatouer ! »

La plupart des boutiques sont installées dans de petites bicoques, parfois dans les garages à moto. Pas très hygiénique donc, mais sympa pour faire monter l’adrénaline. L’élu, en revanche, est d’un tout autre style.

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J’entre, émerveillée. Nous sommes accueillis par un artiste au sourire joueur, je demande son book et je suis immédiatement conquise. Je suis si choquée par la précision de son travail que je demande confirmation « tu tatoues bien au bambou, hein ? » Rire moqueur « Bien sûr, tu ne verras pas de machines ici » suivi d’une mine dégoûtée. « Ok, je peux prendre un rendez-vous cette semaine ? »

Et voilà ! Mon rendez-vous pris pour le 09 janvier à 14h. J’envoie l’image que je veux par internet, et l’artiste qui s’occupera de me le graver sur la peau le re-dessinera à sa sauce.

Le jour J.

J’arrive surexcitée au salon. Sylvain m’a élégamment déposé à ma séance de torture. Mon sentiment est un mélange d’appréhension et de joie pure. Les questions qui me stressent sont :
* Le dessin qu’il va me proposer va-t-il me plaire ? (J’ai vraiment envie de me faire tatouer aujourd’hui, je ne veux pas reporter le rendez-vous !).
* Les outils seront-ils correctement désinfectés / stérilisés ? Car se faire tatouer, c’est bien, en respectant son corps, c’est mieux.

On arrive pendant la pause. Tous les artistes fument leurs clopes à l’intérieur et essaient de communiquer avec leurs clients en anglais. Ils leurs donnent des oreillers pour mordre dedans, ou pour je cite ; « taper le tatoueur quand il fait trop mal ». Ils charrient deux suisses bien musclés qui ont les larmes aux yeux. Ca fait des heures qu’ils se font charcuter les bras et la poitrine ! Aïe ! Ca refroidit mais j’essaie de ne pas perdre mon objectif de vue.

‘Ton’ (mon tatoueur) me montre quatre croquis. Il a pris en compte tout ce que je voulais, a parfaitement compris mon style et mon univers. Je jubile. Je tombe amoureuse d’un croquis, je lui montre, il acquiesce et s’allume une clope.

Quelques minutes plus tard, il me rase le duvet blond de ma cuisse de poulet et me pose le dessin sur la peau vierge.

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Il s’en va ensuite à l’arrière boutique. On le voit préparer son matériel neuf et brûler le bout des aiguilles. Je n’ai plus aucun stress, plus que de l’excitation. JE VAIS ME FAIRE TATOUER ! Calmée, je vais aux toilettes pour le pipi de la peur.

Une demi-heure plus tard, je suis sur le billard. Sylvain me regarde quelques minutes puis repart au bungalow, en me laissant seule pour ma séance de méditation.

L’ambiance est décontractée. C’est la première fois que deux personnes s’occupent de moi pour un tatouage. D’habitude, je suis en face à face avec mon tatoueur seulement (tatoueur que j’aime beaucoup, qui est un artiste hors pair, qui travaille à Besançon), dans une petite pièce décorée façon Halloween version classe. On écoute de la musique entraînante que j’adore, on papote. (Ci-dessous un exemple, si ça vous dit).

Mais ici, en Thaïlande, je suis installée sur deux banc en cuir avec une écharpe en guise de drap. A côté de moi, quatre personnes se font tatouer. C’est rigolo de se faire tatouer en communauté ! Je suis en train de partager un des moments préférés de ma vie avec d’autres êtres humains. Dans la grande pièce vitrée, les sensations se mêlent, les pensées se cognent, les esprits créatifs se libèrent, et la douleur se contrôle de plusieurs manières. Je suis allongée, ma cuisse entre de bonnes mains d’artistes. A côté de mon tatoueur, il y a une petite table sur laquelle est déposé un pot avec trois tiges en métal. Sur l’une, il y a 3 aiguilles. Sur l’autre, il y en a plus. Sur la dernière, il y en a beaucoup plus. On souffle et on se détend… Tout va bien se passer. La méditation peut commencer.
‘Ton’ prends une tige en métal, le monsieur à côté me tient fermement la cuisse. C’est parti !!!! Je m’installe tranquillement et attends. Je sens qu’il touche ma peau de poulet, ça me fait des chatouilles. J’appréhende un peu la douleur, mais finalement, je la supporte plutôt bien ! A ce moment là, je peux vous dire que je faisais bien la maligne ! Je regarde avec un grand sourire les alentours, je m’imprègne du moment. J’envoie tout mon courage aux messieurs à mes côtés qui serrent les dents et j’alterne les micros siestes méditatives de 10 minutes.

Côté musique, c’est détendu et trop marrant. On écoute Nirvana à fond, ça chante, ça rigole, et chacun son tour, les artistes font passer un grand pot d’eau avec une (fameuse) paille à chaque personne dans le salon pour se désaltérer.

Après deux heures et demie de travail intensif, j’ai le plus joli tatouage du monde. Je n’arrive plus à m’arrêter de sourire, je cours et sautille partout. Je suis tellement conquise que je partage une cigarette (la fameuse cigarette thaïlandaise !) avec mon artiste préféré.
Sylvain arrive en plein milieu de mon moment d’euphorie. Je capte son regard plein de surprise qui fait du ping-pong entre cette cigarette imprévue et mon sourire qui ne veut pas se décoller de mon visage.

Je n’ai pas de photo du tatoueur en train de me tatouer, quand je suis sur le billard, je savoure mon moment pleinement ! Et surtout, c’est assez désagréable de se tordre dans tous les sens pour avoir la photo parfaite quand on est installé et que le travail a commencé. Et par respect pour l’artiste, j’évite généralement de gigoter 🙂
Je ne vais pas poster de photo de mon tatouage sur internet, car j’estime que mes tatouages sont personnels et n’ont pas leur place sur la toile. Mais je peux juste vous dire que je me suis fait tatouer une méduse adorable sur le côté de la cuisse 🙂

Cette expérience fût formidable, Ton est adorable et très professionnel. La technique du bambou est incroyable. Après seulement quelques heures, je peux aller me baigner. Inimaginable, quand on pense qu’avec la technique utilisant de dérmographe, on est puni de baignade pendant quelques semaines, voire quelques mois suivant la grosseur du tatouage et la fréquence des séances. Je peux également m’exposer au soleil sans problème.
Se faire tatouer au bambou est une pratique très lente, cela demande beaucoup de patience de la part de l’artiste et du tatoué, mais il donne un résultat incroyable de finesse et de précision. Je suis un chat tatoué et conquis !

Ps : je dis que ça ne fait pas mal et que je faisais la maligne, mais il y a 6 choses que vous devez prendre en compte :
1) Je me suis fait tatouer le côté de la cuisse qui est le plus souvent sujet aux coups (on se cogne moins souvent sur le coin d’une table à l’intérieur de la cuisse qu’à l’extérieur, pas vrai ?). Cela fait donc forcément moins mal qu’un tatouage sur le pied, par exemple, où la peau est plus fine et où les os sont facilement atteignables. Lorsque je me suis fait tatouée les talons d’Achille par exemple, ben… J’ai pas bronché.
2) Je souffre tellement le martyr jour & nuit avec mon dos tout cassé que ce tatouage s’est transformé en petite gêne sans grande conséquence pour mes terminaisons nerveuses. Tout était cool !
3) J’ai appris à dompter la douleur du tatouage à force d’être incommodée par le gratouillement de l’aiguille sur ma peau. Je passe l’épreuve de la douleur en méditant et en entraînant mon esprit à être plus puissant que mon physique. D’ailleurs, merci papa, car c’est toi qui m’a toujours dit que « le mental est plus fort que le physique ». Particulièrement quand j’étais malade et que je voulais rater l’école… Mais tu vois, c’est quand même rentré dans ma tête et je me sers de tes conseils pour me gribouiller le corps sans peine ! 🙂
4) Comme chacun le sait… La douleur est subjective.
5) Je me suis bien préparée avant le tatouage. J’ai bien dormi, bien bu, bien mangé, grignoté des bonbons toute la matinée et quelques uns pendant la séance tatouage.
6) Les personnes avec les larmes aux yeux à mes côtés se sont fait charcuter pendant des heures et pendant des jours. Encore heureux qu’elles versent une larme pour évacuer la pression !

Voilà tout ! Si certain(e)s de nos lecteurs/lectrices souhaitent se lancer dans un tatouage au bambou (ou autre), je vous encourage de tout mon coeur. Soyez sûr(e)s de vous lorsque vous irez à la recherche de votre artiste (l’élu) et tout se passera comme sur des roulettes ! N’oubliez pas que la douleur est subjective et que le tout est d’avoir confiance en son tatoueur, en soi-même et de connaître ses limites.

Allé, salut !